Axe 2 : Choix et contraintes des terrains.

Publié le 13 octobre 2006
par sjacquot

Axe 2 : Choix et contraintes des terrains.

L’analyse du champ sémantique de la notion de terrain révèle la pluralité de ses acceptions. Le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés le définit comme « une entité spatio-temporelle et une instance épistémique où se manifeste l’attitude empirique du chercheur dans sa tentative d’établissement de faits scientifiques » (A. Volvey, 2003). Au même titre que les thématiques et les objets de recherche, la pratique du terrain se renouvelle et se construit. Pour C. Ghasarian, « les nouveaux terrains et leurs nouveaux dilemmes entraînent une nouvelle façon de réfléchir » (Ghasarian, 2002, p.21), mettant en jeu la réflexivité et toutes les négociations préalables à la réalisation du terrain (ce qu’il appelle le « sous-terrain »). En sciences sociales, le terrain met en lumière les interfaces de la recherche en termes de distance, de durée et de déterminants socioculturels. C’est plus largement le regard que le chercheur porte sur son terrain et à partir duquel il va ancrer sa problématique qui nous intéresse ici. S’interroger sur le terrain implique avant tout de l’identifier, qu’il soit support ou objet de la recherche. Son choix est l’une des étapes sensibles de la recherche. Le sujet et sa problématisation peuvent être subordonnés à un terrain et à ses caractéristiques, voire à un objet socio-spatial (démarche inductive). Inversement, on peut adopter pour chaque sujet ou pour chaque objet de recherche un terrain spécifique (démarche déductive). Comment alors doit-on l’appréhender : comme le résultat de rétroactions entre un questionnement initial et l’investigation ou comme un constant mouvement d’allers-retours ?

1. Des outils et des méthodes pour « coller à la réalité du terrain ».

L’objectif de cet atelier est d’identifier les démarches associées aux terrains, de préciser la façon d’y accéder, de les appréhender ou de les illustrer. Ecole d’été de Géographie Sociale 2006 Le chercheur peut adopter une démarche d’immersion (observation participante) ou au contraire maintenir une distance avec le terrain (observation désengagée qui le conduit à être « spectateur »). Pourquoi faire le choix de l’observation ? Que permet l’observation que ne permet pas le recueil du discours ? Ceci pose la question du degré de visibilité des phénomènes et de leurs explications. Ceci nous interpelle aussi au sujet des moyens mis en œuvre pour appréhender les caractéristiques et originalités du terrain choisi. En fonction des outils mobilisés que devient le rapport au terrain ? En règle générale, l’enquête par entretiens est surtout utilisée pour recueillir les aspects plus sensibles et subjectifs de la vie sociale tandis que l’enquête par questionnaire sert à collecter les aspects plus quantitatifs par le biais de questions courtes : mais est-ce toujours le cas ? Le recours aux outils non discursifs tels que la lexicologie, la graphique, l’imagerie (sous toutes ses formes) permet-il d’objectiver le terrain étudié ? La photographie, la vidéo, la carte, sont-ils simplement des instruments de restitution de l’expérience de terrain ou bien ne contribuent-ils pas à le façonner (Raoulx, 2003, 2004) ? Cet atelier invitera les jeunes chercheurs à présenter les expérimentations réalisées au cours de leurs pratiques du terrain. Le terrain est le lieu des pratiques du chercheur. Ses modalités peuvent être diverses. Quoi qu’il en soit le terrain est toujours objet d’interprétation. Il peut également être un lieu de vérification, de validation des données.

2. De l’observation à la validation des terrains.

Le chercheur est confronté à la nécessité d’admettre différentes échelles d’observation, du microlocal au global afin de prendre en compte la complémentarité des objets. Néanmoins, le terrain ne peut pas être étendu à l’infini. Comment le choix d’une échelle peut-il avoir un impact sur la validité des résultats formulés ? Quel rôle joue la notion d’échelle (conçue comme simple étalon de l’étendue ou bien comme indicateur d’un niveau d’analyse) dans la pratique de l’approche comparative (D. Retaillé, 2003) ? La démarche comparative soulève des questions majeures, en particulier au niveau de la conception de la place des terrains d’enquête dans le raisonnement du chercheur. La comparaison peut porter sur des espaces, pour en saisir les spécificités : ainsi M. Roncayolo construit le « cas » marseillais qu’il compare au contexte français (le changement d’échelle est alors la base de la comparaison). Au contraire, la comparaison peut porter sur des processus spatialisés (M. Détienne, 2000 ; P. Gervais-Lambony, 2000), auquel cas on construit une catégorie dont les différents terrains de recherche sont autant de manifestations. Quel est l’objet de la comparaison, quels sont les comparables et comment les construit-on ? La méthode comparative est-elle un gage de scientificité permettant de passer du singulier à l’universel (quelle place accorder alors à la monographie) ? On pourra arguer que le choix des méthodes modifie les regards portés par les chercheurs sur leurs terrains : une série de questions peut être formulée à cet égard. Que le terrain soit abstrait ou concret, comment appréhender ses limites : sont-elles saisissables, sont-elles « floues » (C. Bromberger, A. Morel, 2001) ? Entendu comme une étape de la pratique de recherche et/ou un support sensible de l’observation, le terrain n’est-il pas influencé par la vision de la réalité sociale du chercheur ou au contraire se justifie-t-il par lui-même (limites intrinsèques) ? Dans ces conditions le terrain est-il limité au groupe social et non délimité spatialement ? Par extension, on peut se demander si extraire le terrain de son contexte est envisageable. De plus les participants seront peut-être amenés à évoquer les difficultés spécifiques inhérentes aux comparaisons internationales. Peut-on notamment dépasser les comparaisons continentales (P. Gervais- Lambony, F. Landy, S. Oldfiled, 2003), pour mettre en place ce que M. Détienne appelle l’« impossible comparaison », qui se joue des frontières spatio-temporelles ?

3. Terrains valorisés, terrains interdits ?

Le débat portera sur les affinités entre le chercheur et le terrain. Différents temps du terrain existent : la phase exploratoire, celle du recueil de données, jusqu’au terrain sur lequel on s’appuie pour valider les résultats. Ces terrains sont-ils ceux prédéfinis par le chercheur ou évoluent-ils au gré de l’étude, et dans quelles conditions ? Les temps de la recherche conditionnent-ils nos choix, qu’ils soient imposés par les contrats, les bailleurs de fonds ou au contraire laissés au libre arbitre du chercheur ? Dans ces conditions, on peut se poser la question de la dépendance, ou non, du chercheur par rapport à son terrain en termes de durée, de budget et de distance. D’autres contraintes, liées en partie aux contextes de la recherche, peuvent agir sur cette dernière. Par exemple, l’actuelle tendance à la concentration et à la « territorialisation » des financements de la recherche (pôles de compétitivité, PRES, incubateurs, réseaux,…) associe de plus en plus une thématique à un espace géographique : doit-on dénoncer des terrains imposés ? A une autre échelle, certaines ONG internationales financent des chercheurs en imposant des sujets et des terrains d’étude. La question est alors de savoir quelle est la marge de manœuvre du chercheur lorsqu’il est financé, par exemple, par des industries pharmaceutiques. Enfin, la conjoncture (socioéconomique et géopolitique) détermine l’accès au terrain. Les récents évènements dans les banlieues françaises ou les mutations politiques en Côte d’Ivoire peuvent être cités en exemple : comment aborder des lieux en crise ou des espaces contrôlés par les pouvoirs publics ? Existe-t-il alors des terrains interdits ? Les spécificités du terrain sont susceptibles de modifier les grandes orientations de la réflexion ou de la problématique. Dans le même sens le regard du chercheur sur son terrain est marqué par sa position, sa posture et son implication. Ainsi, la position du chercheur est-elle déterminée ou déterminante ? Quelle place doit-on laisser à l’intuition dans le choix et la pratique du terrain ? En ce sens, doit-il « faire corps avec son terrain » ? Qu’il soit proche ou lointain (en termes socio-culturels), dedans ou dehors (en termes d’implication), le chercheur dispose-t-il des outils et du recul nécessaire pour gérer sa propre charge émotionnelle ? De manière générale, sont sollicitées autour de cet axe des réflexions qui questionnent à la fois la place mais aussi la pertinence de la construction des terrains.


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